DE
10.03.2010
Marcel Cremer (04.06.1955 - 20.12.2009) et l'AGORA

Fondation

L'histoire de la fondation s'est jouée sur le terrain de football de Saint-Vith - « délaissé » selon la légende. C'est au printemps 1980 dans cette petite ville des Cantons de l'Est qu'un groupe d'une trentaine de personnes se réunit. Marcel Cremer avait initié le rassemblement pour amorcer le début de quelque chose. Ni l'objectif, ni le résultat de cette initiative n'était encore certains. Mais l'échec des mouvements révolutionnaires de l'histoire alors récente n'avait pas paralysé ces jeunes : ils·elles considéraient être dans la continuité des initiatives égalitaires et critiques à l'égard de l'autorité. Ils·Elles étaient jeunes et agité·e·s, à la recherche d'un sens commun, d'une action, d'un début. « Que faire ? » Former un parti ? Passer dans la résistance clandestine ? Poser des bombes ? L'une·un d'entre eux·elles avait alors probablement enlevé son pull, une·un autre l'avait noué pour en faire une boule. Jouer au ballon avec le « non-ballon », c'est comme ça que l'inattendu avait commencé. Le jeu, l'être-ensemble, la curiosité envers l'autre, l'affirmation de leur fantastique potentiel de « contre-monde » - voilà ce qu'ils·elles avaient trouvé·e·s dans le jeu de balle avec le ballon-pull.

 

Marcel Cremer

Sous la direction artistique de Marcel Cremer, ce groupe devint l'AGORA Theater. Marcel Cremer est né à Crombach et a été scolarisé à Saint-Vith. Il a étudié le néerlandais, l'allemand et le théâtre à Liège et obtenu son diplôme avec un mémoire sur le dramaturge et metteur en scène allemand Heiner Müller. Pendant ses études, Marcel a joué et mis en scène au théâtre étudiant politiquement engagé organisé par Robert Germay. Lorsqu'il est revenu à Saint-Vith, il a voulu travailler comme enseignant. Finalement, il sera devenu enseignant et apprenant, homme de théâtre visionnaire, auteur et metteur en scène. Il a toujours entretenu un lien avec ses origines et a ancré l'AGORA Theater à Saint-Vith.

 

Saint-Vith, Cantons de l'Est

Les Cantons de l'Est, c'est comme cela que l'on nomme la région de l'Est de la Belgique dont la population est majoritairement germanophone. Les Cantons de l'Est ont souvent changé d'affiliation politique de manière confuse. Cette région a été le théâtre de luttes politiques tout au long de son histoire. L'offensive des Ardennes, probablement l'événement le plus célèbre de son histoire récente, a laissé d'importantes traces dans la petite ville de Saint-Vith. En 1944 à Noël, une grêle de bombes avait détruit la quasi-totalité de la ville. Les pièces de Marcel Cremer portent les traces de cette histoire. En 30 ans, 36 spectacles ont été créées sous sa direction.

 

Orientation

Après la guerre, dans les Cantons de l'Est, la langue allemande était considérée comme un indice de trahison ou de loyauté, d'appartenance ou d'étrangeté, de victoire ou de défaite. Comment vivre sans se trahir soi-même ? Comment faire pour ne pas se remettre en question ni remettre en question sa propre identité ? Quelle passion peut être articulée, exprimée, à quoi cette question doit-elle être mesurée ? Que faut-il perdre pour gagner autre chose, quelque chose de plus important ? Le travail de Marcel reposait sur la conviction que le renforcement de la culture de langue allemande ne devait pas nécessairement mener à une contradiction entre celle-ci et d'autres identités culturelles. Au contraire, en travaillant sur les problèmes de sa patrie, il a fait du travail d'AGORA un laboratoire concernant la question plus large de la coexistence.


À travers son art, Cremer a tenté de réagir aux développements sociaux contemporains. Dès le début, les créations de l'AGORA se sont concentrées sur la coprésence, l'interaction entre deux groupes présents : les spectateurs et les acteurs. Du point de vue des études théâtrales, ce n'était pas nouveau, mais du point de vue de la pratique du théâtre, ça l'était.


Pour créer ce moment, Marcel Cremer ne s'appuyait pas sur le parcours professionnel des acteur·trice·s, mais sur leur subjectivé, leur matériel subjectif. Dans le monde de Marcel Cremer, le professionnalisme, au sens d'un résultat scénique professionnel, n'était pas une question de formation ou de technique de jeu. Les connaissances et les expériences personnelles de toutes les personnes impliquées dans le processus constituaient - et constituent encore aujourd'hui dans le travail de l'AGORA - le point central du développement de la pièce. De cette manière, tous les membres de l'équipe participaient - et participent encore - non seulement au processus de création, mais partagent également la responsabilité du résultat et acquièrent les compétences nécessaires. Chaque acteur·trice a non seulement pour tâche de jouer un rôle, mais aussi de se positionner par rapport au sujet, aux personnages, à son propre rôle et à l'intrigue.

 

Que reste-t-il?

Peut-être que la question de la continuité mène à celle de la forme appropriée, c'est-à-dire à la question aujourd'hui nécessaire du renouvellement de la fondation. Ne s'agit-il pas alors d'assumer encore et toujours les risques et les imprévus qui apparaissent, méconnaissables, voilés à l'horizon au moment du début ? Peut-être s'agit-il de comprendre que, comme à l'époque, il est question ici et maintenant, de montrer ces manques, qui littéralement nous concernent et hantent notre temps, comme l'esprit du père Hamlet nous hantait autrefois ? Cette visitation ne nécessite qu'une seule chose. Le courage d'agir. De commencer quelque chose sans savoir comment cela finira.

 

Il s'agit, encore et toujours d'un seule chose : de commencements.